Dis_Sylphide

© Théâtre de la Ville

Spectacle de danse, concept et direction artistique Saša Asentić and collaborators, Serbie, Allemagne – dans le cadre des Chantiers d’Europe/Jeunes créateurs-temps fort – Théâtre de la Ville / Espace Cardin.

C’est un curieux objet artistique qui se présente sous forme d’un atelier et fait des va-et-vient entre la discussion, la prise de décision et la représentation, à partir de moments de danse-théâtre. Une actrice explique la règle du jeu et le déroulement de la soirée au cours de laquelle, prenant le public à témoins, l’ordre des scènes se décide. Trois grands artistes inspirent la troupe : Mary Wigman et sa Danse de la sorcière, Pina Bausch avec Kontakthof et Xavier Leroy avec Self Unfinished.

Les dix acteurs sont assis en fond de scène, en ligne, face au public. Natalija Vladisavljević sort du rang et s’installe au sol, dans sa belle robe de satin rouge. Elle se glisse dans l’esprit et les gestes de la Danse de la sorcière, dans une succession de mouvements aux gestes saccadés, au corps courbé, aux bras tendus, accompagnés de percussions et de la voix. Cette pièce, présentée en 1926 par Mary Wigman, premier solo composé et interprété par une femme, est un véritable « manifeste pour la danse d’expression, manifeste artistique, pédagogique, politique et féministe » comme l’écrit Isabelle Launay, analyste pour la danse.

La seconde référence et source d’inspiration pour la troupe repose sur la pièce culte de Pina Bausch, Kontakthof. La chorégraphe en avait donné plusieurs variations, notamment une « pour dames et messieurs de plus de soixante-cinq ans. » La pièce évoque la séduction et passe de la tendresse et du désir à l’affrontement. Sur un même tango, les acteurs-danseurs travaillent ici entre improvisation et jeu de la vérité, cherchant leur propre théâtralité. Il y est question de la culpabilité de l’Histoire et des rapports entre la société et l’Histoire. Ils échangent entre eux, dans leur langue, le serbe, et questionnent Pina Bausch sur ses intentions. Une actrice en fait la traduction pour le public. La femme à la belle robe blanche est manipulée comme une marionnette. Une scène du rire devient violence et le travail sur les points de contact, négatifs parfois et inappropriés, marque la complexité des relations. Dans une succession de petites scènes, les acteurs-danseurs font appel au public, emmènent quelques hommes et femmes sur scène et les font danser.

Le célèbre solo de Xavier Leroy, Self Unfinished, est la troisième source d’inspiration de la troupe. C’est un jeu des métamorphoses qui s’appuie sur la tension, la torsion et les plis, avec un danseur spécialiste des expériences et de la recherche de nouveaux langages. Ici la recherche de l’état animal, la mue et la métamorphose sont au cœur du travail. Entre reptiles et insectes, les acteurs-danseurs se relaient pour re-créer des figures, visages cachés, gestes robotiques sur bruits d’usine. On pénètre dans un univers d’étrangeté où tout est parfaitement maîtrisé et ordonnancé.

Artiste de performance et chorégraphe, Saša Asentić a créé en Serbie, en 1999, Per Art, une organisation indépendante dont le programme Art et inclusion rassemble des artistes avec et sans troubles des apprentissages. Ensemble ils conçoivent des projets artistiques et en sont les interprètes. La démarche de Saša Asentić est de lutter contre les préjugés face à la différence. Ce spectacle de haute tenue artistique en témoigne. On y voit des acteurs-danseurs entrant dans des registres artistiques et langages scéniques et construisant une théâtralité singulière qui offre de multiples pistes de réflexion. Ils sont à féliciter, dans l’implication et la maitrise de ce qu’ils font, de ce qu’ils donnent, et si la beauté est dissidente, la beauté est, autour de ces trois oeuvres choisies qui ont changé le regard sur la danse, chacune à sa façon et en son temps.

Brigitte Rémer, le 19 mai 2022

Avec : Natalija Vladisavljević, Jelena Stefanoska, Snežana Bulatović, Dalibor Šandor, Marko Bašica, Frosina Dimovska, Dunja Crnjanski, Alexandre Achour, Olivera Kovačević Crnjanski, Saša Asentić – Chorégraphie et collaboration artistique : Natalija Vladisavljević, Alexandre Achour, Olivera Kovačević Crnjanski – livret Witch Dance at Poèmes Natalija Vladisavljević – consultant dramaturgie Marcel Bugiel – assistante artistique Frosina Dimovska – conseil costumes Marina Sremac.

Du 9 au 12 mai 2022 – Théâtre de la Ville/Espace Cardin, avenue Gabriel, 75001. Paris – site : www.theatredelaville-paris.com tél. : 01 42 74 22 77.